Louis Lapointe, Ancien directeur de l'École du Barreau du Québec (1995-2001)
Chaque fois qu'on nomme un nouveau juge, il faudrait absolument lui poser des questions sur son origine professionnelle, ses anciens clients et ses amis politiques. Malheureusement, ce n'est pas nécessairement le cas et, dès qu'ils deviennent juges, grâce à leur nouvelle dignité feinte, ces anciens avocats réussissent presque toujours à nous faire oublier qu'ils viennent d'un riche et grand cabinet et nous font rapidement croire que leur nouveau statut les propulse au-dessus de la mêlée.
L'avocat a une cote de popularité de 20 % dans la faveur populaire. Le jour où il devient juge, cette cote passe à 80 %. Pourtant, c'est la même personne et, même s'il est nommé juge, l'ancien avocat porte toujours en lui le germe du conflit d'intérêts.
Le secret professionnel réussit peut-être à l'occulter, mais cela demeure un fait inéluctable: ce ne sont pas nécessairement les avocats les plus compétents qui deviennent juges, ce sont les avocats les plus influents et les mieux branchés, donc ceux qui ont le plus de dettes politiques et d'attaches économiques.
Des avocats qui représentaient fidèlement leurs clients avant de devenir juges et qui ont reçu des centaines de milliers de dollars, voire des millions en honoraires seront-ils capables de vraiment se distancer de leurs généreux clients? Ces juges pourront-ils encore longtemps se cacher derrière leur secret professionnel?
Le même constat doit être fait au sujet des liens politiques qu'ils ont entretenus tout au long de leur carrière avec de grands partis politiques. Ce n'est pas parce qu'il y a des faits que personne ne conteste au sein de la magistrature (comme cette sortie du juge en chef Michel Robert contre la nomination de juges indépendantistes à des cours de juridiction supérieure) que ce ne sont pas des évidences.
Se fondant sur ces événements, on peut facilement avancer que le système actuel encourage la discrimination systémique à l'encontre de certaines options politiques parce que les juges siégeant au conseil de la magistrature, et probablement la majorité des juges, ne reconnaissent pas l'égalité d'options autres que les leurs pour accéder à la magistrature. Il faut partager les valeurs du club pour y entrer. C'est justement le propre de la discrimination systémique de reproduire les vieilles habitudes d'un groupe majoritaire sans égard à l'existence de certaines minorités! Pourtant, ces juges ont justement pour tâche de sanctionner le respect de ces principes d'égalité reconnus dans nos chartes. Étrange paradoxe! [...]
Connaître le passé
Si la plus haute compétence est relativement facile à évaluer, l'indépendance des juges demeure dans bien des cas une vision de l'esprit et un vœu pieux qui ne réussira jamais à totalement effacer de la mémoire des anciens avocats leurs plus gros clients, leurs anciens collègues des grands cabinets et les partis politiques qu'ils ont appuyés tout au long de leur carrière.
Lorsqu'on choisit un nouveau juge, on choisit aussi une vision de la société, de la justice, des institutions et de l'État qui est tributaire de ces anciennes allégeances et affiliations qui ne disparaissent pas nécessairement, même si elles doivent désormais être tenues secrètes. Si cela convient à l'image de la justice, cela laisse songeur au sujet de la véritable indépendance des juges. On ne peut empêcher un cœur d'aimer!
Si on veut que les citoyens respectent cette institution, on ne doit pas leur cacher le passé de leurs juges: ils ont le droit de savoir qui est nommé aux plus hautes fonctions et qui a la responsabilité de la sauvegarde de nos institutions les plus précieuses. Pour cette raison, le système peut tolérer une relative indépendance à des juridictions inférieures, mais dès qu'on se rapproche du sommet, on doit être plus vigilant et plus exigeant.
Ainsi, lorsqu'on nomme un nouveau juge à la Cour suprême, on devrait pouvoir évaluer non seulement ses compétences exceptionnelles mais également sa véritable indépendance. On comprendra qu'il ne s'agit pas de questions de mœurs qui font saliver plusieurs médias mais bien de questions précises comme la liste des clients, les services rendus, l'importance des honoraires, le rôle joué au sein de formations politiques et le délai écoulé depuis que les derniers services ont été rendus. Ne vaut-il pas mieux nommer à ces plus hautes fonctions un «démon» qu'on connaît qu'un «ange» dont on ignore le véritable passé professionnel?
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