mercredi 22 février 2012

Un désastre policier et judiciaire


Aux assises des Hauts-de-Seine, le procès d’un désastre policier et judiciaire

Le procès d'assises qui s'est ouvert à Nanterre, lundi 20 février, n'est pas seulement celui de David Sagno, 37 ans, accusé du meurtre de Marie-Agnès Bedot et de Maria-Judith Araujo, assassinées, la première le 1er décembre 2001, et la seconde le 22 mai 2002 sur le pont de Neuilly, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). C'est aussi celui d'un désastre judiciaire qui a valu sept années d'incarcération à Marc Machin, condamné en 2005 par la cour d'assises des Yvelines à dix-huit ans de réclusion pour le crime de Marie-Agnès Bedot, verdict annulé par la cour de révision le 13 avril 2010.

Quatre ans après s'être livré à la police pour s'accuser de ces deux homicides, David Sagno comparaît devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine qui a entendu, mardi 21 février, Marc Machin ainsi que les responsables de cette enquête ratée, notamment Jean-Claude Mules. Ce policier aujourd'hui à la retraite avait extorqué les aveux mensongers de Marc Machin le 14 décembre 2001, dans les locaux de la brigade criminelle, au 36, quai des Orfèvres.

C'est peu dire de Jean-Claude Mules qu'il affiche une assurance pour le moins surprenante pour un homme qui s'est autant trompé. Mardi, il a été appelé à la barre peu après Marc Machin, qui reste bouleversé par l'erreur dont il a été victime. Cheveux poivre et sel, veste moutarde, pantalon de velours côtelé, Jean-Claude Mules se présente à la barre comme ancien commandant de police, conseiller technique et chef procédurier. Un "analyste criminel", résume-t-il: "Pour Marc Machin, on est venu me chercher pour voir de quoi il retournait." Et d'expliquer qu'il l'a invité dans son "cabinet" – son "bureau", se reprend-il – et a "tenté une approche psychologique". A l'entendre, c'est lui qui a "débloqué" Marc Machin et qui l'a aidé "à parler librement".

ACTE "SACRIFICIEL"

Au nom du ministère public, le procureur Philippe Courroye se lève: "Marc Machin est en garde à vue depuis 40 heures, il a quatre auditions derrière lui et, selon vous, c'est bloqué parce qu'il n'est pas passé encore aux aveux. C'est cela, le blocage?", interroge-t-il. Philippe Courroye ne le dit pas formellement, mais sa réaction ne laisse aucun doute : il n'apprécie pas les méthodes et le manque de rigueur de l'enquête de police qui a conduit à la mise en cause d'un innocent. "Cette manière d'entrer en contact avec Marc Machin n'avait pas pour but de le conditionner?", ajoute-t-il. Jean-Claude Mules en convient: "On a un devoir de réussite, ne serait-ce que pour les victimes." Il a fait son travail, c'est aujourd'hui encore son sentiment sans le moindre remords.

Quelques instants auparavant, Marc Machin a raconté, à cette même barre, sa version. Il s'est senti manipulé par son interlocuteur. "Il m'a fait un travail psychologique, répète-t-il. J'étais un gamin de 19 ans apeuré, je tremblais comme une feuille. (…) J'étais incapable de me défendre." Il assure que, s'il a pu décrire la tenue vestimentaire de Marie-Agnès Bedot, c'est parce qu'il a vu des photos de la scène de crime, tombées à ses pieds pendant sa garde à vue. Il était "paumé", et il a fallu attendre le 8 janvier 2002 pour qu'il se rétracte, en vain. Marc Machin craque. Lui dont la peine de prison n'a été suspendue que le 2 juillet 2008, n'a pas l'aplomb du policier. Le voilà qui sanglote: "Qu'est-ce que je serais allé tuer une mère de famille comme ça? J'ai perdu ma mère. Mais ça va pas la tête!"

En révélant, dans la nuit du 3 au 4 mars 2008, sa double culpabilité, moult détails à l'appui, David Sagno n'a pas seulement permis la libération de Marc Machin. Il a mis au jour les ratés d'une enquête et les limites de la méthode des aveux à tous prix, celle de la brigade criminelle.

Quatre ans plus tard, le voici dans le box. Mains derrière le dos, d'une voix calme et posée, David Sagno raconte à ses juges qu'il avait croisé Marie-Agnès Bedot sur le pont de Neuilly, le samedi 1er décembre 2001 aux alentours de 7 h 30. A l'en croire, c'est parce qu'elle s'est soudainement mise à tousser qu'un déclic s'est déclenché dans sa tête: "J'ai pris ça comme un signe." Il fallait qu'il la tue, qu'il accomplisse un acte "sacrificiel" auquel il s'était préparé depuis la veille en buvant plusieurs bouteilles de bière. Il l'avait alors poussée dans les escaliers situés au milieu du pont et l'avait ensuite poignardée à plusieurs reprises avec un couteau à pain volé la veille. "J'étais dans un état de torpeur. Je n'ai eu aucune pitié", explique-t-il. Il se souvient avoir lapé le sang de sa victime "pour obtenir de la puissance".

David Sagno s'était inventé un personnage afin de vaincre sa timidité. Six mois plus tard, il a récidivé au même endroit. L'assassinat de Maria-Judith Araujo relève d'un procédé en bien des points similaires. Sauf que cette fois, David Sagno s'est servi d'un tesson de bouteille. C'est le sermon d'un pasteur entendu à la maison d'arrêt de Nanterre le 19 janvier 2008 où il était détenu, qui l'aurait encouragé à se dénoncer.

Selon les experts psychiatriques, l'accusé souffre de troubles "d'une dimension perverse et de phénomènes d'allure psychotique". Les deux collèges d'experts qui l'ont examiné concluent à "la dangerosité" de cet homme, qui reste accessible à une sanction pénale.

Verdict vendredi 24 février.

Yves Bordenave

Source : Le Monde http://past.is/RPWS

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